Ascension de l'EVEREST, 8848m

Montagne | Réalisé du 26/03/2012 au 26/05/2012


EVEREST, 8848 m.


26 mars 2012

Arrivée à Kathmandu. Deux mois d'expédition seront nécessaires pour espérer se tenir quelques minutes en haut d'une paroi pour contempler le monde essoufflé Premier retour au Népal depuis 23 ans. A 19 ans j’étais venu pour la première fois faire le trek de l’Annapurna dont j’ai gardé d’inoubliables souvenirs. Sans le sous comme un vrai routard à une époque ou ce pays était beaucoup moins fréquenté. Pour atteindre le camp de base nous sommes aujourd’hui hébergé dans des lodges et avons même accès à internet.

28 avril 2012

Nous sommes environ 300 prétendants cette année à espérer réussir ce défi de taille. Malheureusement, une cinquantaine de personnes ont été déjà évacuées par hélicoptère souffrants de divers maux,  3 personnes sont  décédés et le sommet n'a pas encore été tenté.Nous avons dû faire de nombreux aller-retour du camp de base aux camps supérieurs. J’espère être dans les premiers à tenter le sommet, bien avant la majorité qui n'ont pas fini leur acclimatation et l'installation de leurs camps supérieurs. Mon coéquipier et moi-même avons donc une longueur d’avance sur les autres ! Nos installations au camp 4 devraient être fait dans quelques jours  lorsque la météo le permettra. Ces installations resteront sommaires puisque nous n’y séjournerons pas avant la grande ascension, car aucune acclimatation n'est possible. 

 

EVEREST, Phase 2 Camp 3, 7200 m.


Fin de l'acclimatation. Longue ascension verticale de 60 degrés  le long d'une paroi de glace. Nombreuses chutes de glaces et de roches pour ceux qui ont accédé au camp 3 aujourd’hui. 5 blessés graves qui ont du être évacués par hélicoptère et un mort dans la journée… Le casque est indispensable. Je me suis fait assommer et ai reçu un bloc de glace  au niveau de la mâchoire qui m'a laissé sans voix quelques heures. Nuit au camp 3 correct. Je me suis gelé 2 doigts en grimpant, car le vent s'est levé lors de la montée et impossible de me couvrir le long de cette paroi quasi verticale. Bref, je suis arrivé totalement gelé et il m'a fallu 2 h avant que mon corps ne cesse de trembler. Mes doigts sont malheureusement encore sensibles et mettront des mois à s'en remettre. Moi qui n'est pas porté de gants de l'hiver et qui ai commencé à porter une première couche au camp 1 malgré le froid…..Grosse avalanche 30 mètres derrière moi en montant au camp 2.  Elle a emporté 2 grimpeurs qui ont heureusement survécus, mais de nombreuses tentes ont malheureusement disparu.  C’est fou, si j’étais parti quelques minutes plus tard, j'aurais découvert les joies ou la finitude d'un ensevelissement. La vie finalement ne tient pas à grand chose… cela fait longtemps que je le sais.Fin de l'acclimatation.  Retour à la case départ.  Nous ne pouvons pas accéder au camp 4 à cause des éboulements, des chutes de glace et surtout des rafales de vent qui ont occasionné de multiples accidents entre le camp 2 et 3. La mauvaise température en a désespéré quelques uns et ils ont été --- à quitter pour de bon la montagne. La plus grosse équipe de l'Everest, celle de Russell Brice, le vétéran de l'Everest  se retire. Une  décision importante motivée par les conditions considérées trop dangereuses selon lui notamment celle du khumbu Ice Fall, dont les avalanches sont fréquentes. Plus de cinquante grimpeurs du Lhotse et de l'Everest qui renoncent.  L'avenir nous dira la justesse d'une telle décision.La plupart des autres équipes en place n'ont pas accédé au camp 3 encore et très peu ont pu y dormir. Nous avons eu la chance de pouvoir dormir au camp 3 et de nous acclimater à cette altitude.L'attente commence. J'étais prêt pour le sommet, mais aucune route n'est encore tracée entre le camp 4 et le sommet et tant que le climat ne change pas aucun push n'est envisageable.Je suis redescendu quelques jours à Namche, un village perché au milieu des montagnes pour me reposer. Je tente de rester en forme  et j’espère qu'une fenêtre météo s'ouvrira sous peu.Ce repos forcé ne me plait pas et j’espère conserver l'énergie physique et mentale pour réussir. 

12 Mai 2012 : phase 3

L'attente continue. Aucune tentative n'est actuellement envisageable. De retour au camp de base depuis 2 jours, nous attendons une fenêtre météo vers le 20 mai, mais les données changent quotidiennement. Les cordes fixes n'ont pas encore été installées entre le camp 4 et le sommet. Les intérêts des expéditions commerciales sont différents et aucune logistique ne semble pouvoir être mise en place.  Les cordes, échelles et les routes après le camp 2 sont gérées directement par les équipes et leurs sherpas. Mon compagnon et moi grimpons sans guide et nous n'avons qu'un sherpa chacun.  Comme la plupart des autres grimpeurs restant (aujourd'hui environ 200), nous n’avons aucune influence  et demeurons dans l'incertitude. Si les vents se calment vers le 18 mai, les cordes pourront être installées et nous pourrons espérer débuter l'ascension. D'ici là, au regard des conditions météos incertaines, des mouvements constants du Khumbu ice fall, des blocs de glace que nous devons traverser et des avalanches quotidiennes .....nous ne pouvons qu'attendre. Drôle d'exercice qui m'est inhabituel !J'ai besoin de mouvement, de focaliser vers un but. Je demeure curieux d'atteindre ce sommet, cet instant unique et magique où je vais contempler, épuisé, le monde à mes pieds... et penser rapidement à redescendre avec le peu d'énergie qu'il me restera ! Mais peut être, épuisé ou les membres gelés, j'aurais fait demi tour avant.Aujourd'hui, ce qui m'inquiète, est de ne pas pouvoir même le tenter. 2 mois sur la montagne à attendre ce moment et il se peut que tout soit gâché et compromettre toute tentative par une avalanche meurtrière ou une météo défavorable persistante. À ce stade, je n'ai aucun contrôle sur la suite des événements. Je ne puis que rester en santé et motivé ce qui est heureusement le cas pour le moment. Malgré tout, j’aimerais bien que cette période d’attente ne soit pas trop longue. Des avalanches, lourdes et terrifiantes grondent la nuit et me réveillent et m’inquiètent. Hasard ou destin, les chances de survie sont minces si elles croisent notre chemin. Dans le Khumbu, les blocs de glace promettent une mort rapide. Au delà du camp 1, la perspective d'être enseveli et d'asphyxié sous un monticule de neige est une perspective désagréable. Je vais emporter un briquet maintenant, la flamme indique paraît-il la direction vers haut. Quitte à gratter au moins que cela soit dans le bon sens.L'Everest en tant que sommet le plus haut de la planète est symboliquement le plus significatif. Je m'interroge sur les motivations de toutes ces personnes (et de moi-même) présentes d'origines, de cultures, d'âges et de conditions très  différentes. Cet américain de 50 ans qui tente l'Everest pour la 3ème fois (motivé!!!!), cette quarantaine de militaires indiens qui se sont entraînés exclusivement pour cela les 18 derniers mois, ces quelques sponsorisés qui veulent faire une carrière de conférencier et ces multiples personnes d'horizons différents qui ont finalement ce point commun de vouloir se prouver à eux-mêmes et aux autres qu'ils sont capables de réussir, de réaliser ce rêve insensé et finalement dérisoire qui les grandit et les démarque. Se démarquer c'est finalement affirmer sa singularité, reconnaître son altérité et postuler sa différence.Mais pour moi, je crois que c'est avant tout un besoin de donner du sens à cette expérience qu'est la vie. Riche, multiple et bien trop courte, elle est guidée par mes envies, mon imagination. Un mouvement vers notre inéluctable finitude qui donne précisément à l'instant présent toute sa saveur. Voyager, explorer, c'est tenter de s'enrichir de cette merveilleuse diversité. Le confort, la sécurité financière ou affective restent des besoins essentiels que je suis loin d'ignorer. Mais je n'ai jamais su sacrifier mes rêves à leurs profits et persiste dans ma naïveté et ma confiance qui me permet de vivre pleinement cette part naturelle et spontanée de mes envies.Ce temps privilégié que je prends avec moi-même en voyage ou en expédition est comme une parenthèse nécessaire loin du tourbillon du quotidien. Je suis sur que vous aussi, à de nombreux moments la semaine le mois ou l'année écoulée, vous vous êtes demandés comme moi comment ce temps est-il passé aussi vite ? Un jour, un simple regard dans un miroir indifférent à nos attentes nous rappelle avec force que notre bien le plus précieux est bien le temps qu'il nous reste à vivre. Et ce temps, je consacre à me confronter à cet inconnu qui m'angoisse  et m'attire, qui remet en cause le confort de mes habitudes et élargis le champ de mes certitudes. Mon corps n'apprécie pas toujours ces multiples inconforts et ces souffrances que je lui impose mais vaillamment s'adapte, s'ajuste à ce nouvel environnementCes derniers 12 mois furent à cet égard actifs. J'ai traversé la Terre de Baffin en ski et en Kite, seul en espérant ne pas croiser la route d'un ours polaire,  et améliorer ma résistance au froid (les températures pouvant atteindre la nuit les -50) et au camping hivernal, j’ai pédalé de Vancouver à Montréal (5100km), 200 km/jour dont les 2/3 sous la pluie pour améliorer mon cardio, j’ai amélioré mon Kite aux îles-de-la-Madeleine en espérant faire la traversée jusqu'à l'île du prince Édouard ,  j’ai escaladé des pythons de rocs et plongées en Thaïlande en novembre afin d’explorer les hauteurs et les profondeurs, j’ai fait un raid de motoneige en février pour me griser de vitesse, et j’ai terminé le tout au soleil de Cuba en mars pour prendre en peu de chaleur avant l'Everest.Et me voici dans une tente, impatient, en train de  prier pour une fenêtre météo, de rêver d'un bon bain, d’imaginer des câlins de mes filles et des baisers  de mon amoureuse. Très prosaïque (une bonne bouteille avec tout cela).... 

 

EVEREST, Phase 4 Summit Day, 8700 mètres.


Le sommet est à moins de 150 mètres. Une longue file de grimpeurs qui n'avancent pas, bloqués, épuisés qui comme moi, dans l'effort depuis une trentaine d'heures, soit depuis le camp 3. Cela empêche toute avancée. .. Partis vers 21h du camp 4, je me suis retrouvé en fin de queue. J'ai pu doubler de nombreux grimpeurs trop épuisés pour avancer (a  chaque fois cela demande un énorme effort), mais ce 1000 m de dénivelé à parcourir du camp 4 jusqu’au sommet pour une distance de 1200m, devrait prendre normalement entre 10 et 12h et la moitié de ce temps pour descendre. Après 16h au delà du camp 4, les risques mortels se multiplient. Nous sommes sur la montagne depuis bientôt 2 mois dans l'acclimatation et l'attente d'une fenêtre météo, qui s'ouvre pour la première fois ce 19 mai. Une troupe de 100 grimpeurs et leurs sherpas (200 personnes) se lancent. La plupart des prétendants au sommet ne sont pas des alpinistes. Beaucoup, malgré leur épuisement et les risques réels vont continuer mais avançant si lentement et si dangereusement que toute la cordée est en danger. À cette altitude, le fil entre la vie et la mort est bien mince.Je suis moi-même épuisé. La nuit fut longue spécialement lorsqu'on est régulièrement bloqué. L'énergie dépensée à cause du froid, de l'effort et du manque d'oxygène est énorme. Je n'ai rien mangé depuis 30h et je suis totalement déshydraté. Je crache dans mon masque cette belle substance verte des toux bronchiques, j'ai vomis ma bille mon estomac étant vide, désagréable expérience avec un masque à oxygène. J’avais vécu une expérience similaire lors de ma traversé de l'Atlantique où j’avais passé 72 h non stop à vomir ma bille et de l'eau toutes les 25 minutes en continuant de ramer 15h par jour. Cela ne m'inquiétait donc pas. Mes orteils de mon pied gauche sont gelés, car mes chaufferettes non pas fonctionnées de ce côté, mais rien d'anormal. Que du surmontable. Mais je me suis à douter de pouvoir redescendre. Bloqué en fin de file à ce rythme il me faudrait peut être encore 2h à atteindre ce sommet tout proche et embouteillé. Le sommet sud lui est tout proche à quelques dizaines de mètres. Il faut dépasser une file de grimpeurs qui n’avancent pas. Cela fait 13h que je monte et quand tout le monde va redescendre, combien de temps cela va t-il prendre et combien n'auront plus la force d'avancer. Aurais-je moi-même la force d'attendre?  J'ai douté et j'ai décidé de faire demi-tour. Cette nuit-là, sur la centaine de grimpeurs, 6 sont morts seulement. Je m'étonne qu'il n’y en ait pas plus. J'ai croisé des grimpeurs dans un état si catastrophique que je me demande encore comment ils ont pu atteindre le sommet. Une détermination étonnante, un summit fiever ou un manque d'oxygénation qui rend toute pertinence impossible. Le moindre incident ou le changement de temps génère une inévitable catastrophe.Beaucoup ont réussi cette nuit-là aussi. Je sais que se comparer nous amène à nous surpasser, à donner le meilleur de nous-mêmes,  mais est aussi une des principales causes de notre malheur, de notre insatisfaction à nous contenter de ce que la vie nous offre.Manque de courage ou maturité, je n'ai pas pris de risque.  2 mois d'effort et d'investissement pour renoncer à moins de 150m de continuer à suivre cette file de grimpeurs que je ne pouvais doubler et dont j’ai douté.J'en ai pleuré toute ma descente.  Et je vais devoir vivre avec cette décision en sachant que l'échec ou le succès nourrissent de manière égale notre vie. Ils nous grandissent quand nous sommes capables d'en tirer les leçons. Aujourd'hui, je me pose encore des questions sur la pertinence de mon choix. …J'ai fait la promesse à mes filles de revenir et ne pas prendre de risques inutiles. Au moins, j'ai respecté mon engagement....Il faut que j'arrête de me lamenter. Je suis rentré en hélicoptère du camp de base à Katmandou et ensuite me rendre au Hyatt. Premier bain depuis 2 mois, Spa et massage pour soigner ce corps endoloris et amaigris (une dizaine de kilos perdus), ce visage et ce cou brûlé par le soleil dont la peau se détache par croûte,  recommencer à respirer pleinement et m'enivrer ( 3 bières à mon avis suffiront..)